Interview du 24 mai 1931« Le Haut-Parleur »
- AGENCE WAPITIX
- 12 févr.
- 4 min de lecture
Interview du 24 mai 1931, accordée au journal « Le Haut-Parleur », par M. Pierre Keszler
‘La harpe est l’un des instruments connus et c’est aussi celui qui, à l’œil, est le plus gracieux. Quiconque a vu courir les doigts d’une artiste sur les cordes tendues, quiconque a saisi toute la poésie éolienne de ce geste plein de grâce a été conquis par l’élégance, la finesse et la légèreté dont l’instrumentaliste a fait preuve.
En outre, s’il est un moyen de « toucher » la musique aussi directe que possible, les instruments à cordes pincées, ne sont-ils pas ceux qui permettent le mieux le contact immédiat avec les sons ?
Sous les mains de la harpiste, la musique semble prendre naissance sans le concours d’aucun artifice, elle semble émaner du geste même sans faire appel aux cordes ni aux pédales…et portant, c’est par l’habilité à manier les unes et les autres que l’on juge l’artiste.
Par T.S.F., si toute la grâce spectaculaire de la harpe est perdue, et c’est très dommage, le son est très bien servi par les ondes qui ne se permettent à son égard, aucune privauté. C’est grâce à cette fidélité que nos lecteurs ont pu apprécier le talent d’Alys Lautemann.
Alys Lautemann, fille de musicien, naquit il y a moins d’un quart de siècle, cependant que son père donnait des leçons de chant. Comment s’étonner alors, qu’elle ait eu fort jeune le désir de participer à la ronde musicale qui se faisait autour d’elle. A 6 ans, elle étudiait le piano et un an plus tard, elle commençait à pincer les cordes d’une harpe.
A onze ans, elle remportait au Conservatoire son premier prix et elle fit alors une tournée. Les spectateurs ne furent pas médiocrement étonnés de voir une enfant si jeune, interpréter à la harpe des œuvres non seulement difficiles techniquement mais encore demandant une grande musicalité, une grande maturité de sensibilité artistique.
Juchée sur un siège élevé, les bras atteignent à peine les grosses cordes, ne pouvant agir sur les pédales que par l’intermédiaire de hausse-pédales, la jeune artiste semblait toutefois se jouer des difficultés…
La réputation d’Alys Lautemann grandit rapidement au cours de nombreux concerts donnés tant à paris, qu’en province et en 1927, la Société des Conservatoires l’engageait dans ses phalanges. Le fait mérite d’autant plus d’être signalé que depuis un siècle aucune femme n’avait jamais fait partie de la glorieuse compagnie !
Radio-Paris enfin, s’attacha la jeune harpiste qui souvent jour en solo.
***
Posons maintenant quelques questions à Mlle Lautemann sur son instrument.
PK : La harpe n’est-elle pas très difficile à jouer ?
AL : Si, certainement, à côté d’une technique perfide, il faut compte encore avec la sonorité et l’interprétation. Le répertoire pour harpe solo n’est pas immense, aussi faut-il le connaître entièrement, et d’autant mieux qu’il est plus restreint. En outre chaque fois qu’une nouveauté est écrite pour harpe, je l’essaie à Radio-Paris et selon les résultats, je la conserve ou non.
PK : Vous avez une belle confiance dans la T.S.F….
AL : Limitée, très limitée. Si j’aime la radio comme interprète, je ne la pratique pas comme auditrice et je ne crois pas qu’elle puisse tout ce que l’on dit d’elle.
PK : Diable, mais c’est horrible ce que vous dites !
AL : Oui, je suis assez pessimiste sur l’avenir de la T.S.F. Tous les moyens dont disposent les gens pour ne faire que de la musique par procuration, me font augurer la disparition prochaine de vrais musiciens, ou du moins une diminution effarante de leur nombre, ce qui ne permettra plus une sélection bien efficace.
PK : Pourtant, Mademoiselle, il faudra toujours des exécutants pour les auditoriats radiophoniques pour les salles d’enregistrement, pour la création des œuvres nouvelles et le public étant mieux averti sera plus difficile….
AL : Savoir ? Le bon goût est terriblement malmené et je crains que l’abus de la musique mécanique ne finisse par le tuer définitivement.
PK : Et pourtant Mademoiselle, vous devez bien enregistrer vous aussi ?
AL : Oui, je suis en pourparlers avec différentes firmes et j’espère fermement contribuer à la réalisation de bons disques, mais la harpe n’est pas un instrument qui attire autant que le violon ou la voix…
PK : C’est pourtant l’un des plus purs
AL : Oui et c’est pour cela que je l’aime, c’est pour cela que je fais tout ce que je peux pour en répandre le goût. A Radio-Paris, j’ai la liberté absolue de jouer ce que je veux, aussi, quand les auteurs le veulent bien, je leur demande de venir tenir la baguette, dans les œuvres avec orchestre. Je m’efforce à donner au cours de chaque saison un aperçu d’ensemble du répertoire, en marquant, dans la mesure du possible, les oppositions entre classiques et modernes, en un mot, je cherche à faire aimer la harpe.
PK : C’est une noble tâche mais qui doit être absorbante.
AL : Plus encore qu’absorbante § Songez que, faisant partie de la Société des Conservatoires, ce qui donne beaucoup de travail, faisant partie de l’orchestre de Radio-Paris, ce qui m’en donne presqu’autant, il faut encore que je prépare et répète les concerts de musique de chambre que nous donnons chaque semaine ou presque à Radio-Paris. Savez-vous que je suis à mon centième concert radiophonique ?
PK : C’est un beau chiffre que toutes les vedettes n’atteignent pas !
AL : J’espère bien ne pas m’en tenir là, d’ailleurs !
PK : Nous aussi, Mademoiselle, mais quels sont vos projets ?
AL : Ils sont assez mal définis, mais la méthode dont je me suis servi jusqu’à maintenant m’ayant réussi, j’ai l’intention de continuer !
Nous prenons congé de notre aimable interlocutrice, en la félicitant d’avoir atteint si jeune, une aussi juste célébrité, et nous l’assurons de la sympathie que lui portent les amateurs de T.S.F. qui l’écoutent.
Mais elle est si simple, si modeste qu’elle nous tende la main en disant : « Bah, cela n’en vaut pas la peine… !»
Mais si, Mademoiselle, vous méritez la gratitude des auditeurs et ils le savent bien…